Encyclopédie volume 8 page 306 colonne droite

Transposition par l'Horloger de la Croix-Rousse du volume 8 page 306 colonne de droite de l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert

Ainsi parvenu à l’intelligence des machines, il aura des idées nettes de leurs principes ; et possédant l’exécution, il passera aisément à la pratique des montres, et d’autant mieux que le même esprit qui sert à composer et exécuter les pendules, est également applicable aux montres qui ne sont en petit que ce que les pendules sont en grand.

Au reste, comme on ne parvient que par gradation à acquérir des lumières pour la théorie, de même la main ne se forme que par l’usage ; mais cela se fait d’autant plus vite, que l’on a mieux dans la tête ce que l’on veut exécuter ; c’est pour cette raison que je conseille de commencer par l’étude de la science avant d’en venir à la main-d’œuvre, ou tout au moins de les faire marcher en même temps.

Il est essentiel d’étudier les principes de l’art, et de s’accoutumer à exécuter avec précision, mais cela ne suffit pas encore. On ne possède pas l’Horlogerie pour en avoir les connaissances générales ; ces règles que l’on apprend sont applicables dans une machine actuellement existante, ou dans d’autres qui seraient pareilles ; mais imaginer des moyens qui n’ont pas été mis en usage, et composer de nouvelles machines, c’est à quoi ne parviendront jamais ceux qui ne possèdent que des règles, et qui ne sont pas doués de cet heureux génie que la nature seule donne ; ce talent ne s’acquiert pas par l’étude, elle ne fait que le perfectionner et aider à le développer ; lorsqu’on joint à ce don de la nature celui des Sciences, on ne peut que composer de très bonnes choses.

On voit d’après ce tableau, que pour bien posséder l’Horlogerie, il faut avoir la théorie de cette science, l’art d’exécuter, et le talent de composer, trois choses qui ne sont pas faciles à réunir dans la même personne ; et d’autant moins, que jusques ici on a regardé l’exécution des pièces d’Horlogerie comme la partie principale, tandis qu’elle n’est que la dernière ; cela est si vrai, que la montre ou la pendule la mieux exécutée, fera de très-grands écarts si elle ne l’est pas sur de bons principes, tandis qu’étant médiocrement exécutée, elle ira fort bien si les principes sont bons.

Je ne prétends pas qu’on doive négliger la main-d’œuvre, au contraire ; mais persuadé qu’elle ne doit être qu’en sous ordre, et que l’homme qui exécute ne doit marcher qu’après l’homme qui imagine : je souhaite qu’on apprécie le mérite de la main et celui du génie chacun à sa valeur ; et je crois être d’autant plus en droit de le dire, que je ne crains pas que l’on me soupçonne de mépriser ce que je ne possède pas. J’ai fait mes preuves en montres et en pendules, et en des parties très-difficiles : en tout cas, je puis convaincre les plus incrédules par les faits.

Je crois devoir d’autant plus insister sur cela, que la plupart des personnes qui se mêlent de l’Horlogerie sont fort éloignées de penser qu’il faille savoir autre chose que tourner et limer. Ce n’est pas uniquement leur faute ; leur préjugé nait de la manière dont on forme les élèves. On place un enfant chez un horloger pour y demeurer huit ans, et s’occuper à faire des commissions et à ébaucher quelques pièces d’Horlogerie. S’il parvient au bout de ce temps à faire un mouvement, il est supposé fort habile. Il ignore cependant fort souvent l’usage de l’ouvrage qu’il a fait. Il se présente avec son savoir à la maîtrise ; il fait ou fait exécuter par un autre le chef-d’œuvre qui lui est prescrit, est reçu maître, prend boutique, vend des montres et des pendules, et se dit horloger. On peut donc regarder comme un miracle, si un homme, ainsi conduit, devient jamais habile.

On appelle communément horlogers, ceux qui professent l’Horlogerie. Mais il est à propos de distinguer…