Encyclopédie volume horlogerie page 3 colonne droite

Transposition par l'Horloger de la Croix-Rousse du volume relatif à l'horlogerie page 3 colonne de droite de l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert

On distingue dans la nature deux sortes de quantité ; l’une qu’on nomme quantité continue, et qui n’est autre chose que l’espace ou l’étendue ; l’autre quantité successive, qui n’est autre chose que la durée ou le temps. Mais ces deux quantités, très distinctes en elles-mêmes, ont cependant une telle connexion entre elles, que l’on ne peut mesurer l’une que par le moyen de l’autre ; leurs propriétés étant absolument les mêmes. En effet on ne peut mesurer le temps qu’en parcourant l’espace ; et au contraire on ne peut mesurer l’espace qu’en employant du temps pour le parcourir. La comparaison de ces deux quantités fournit l’idée du mouvement : celui-ci renferme nécessairement celle d’une force ou cause du mouvement, par conséquent de l’espace parcouru, et d’un temps employé à la parcourir. C’est de ces deux dernières idées que l’on tire celle de la vitesse. L’on sait que la vitesse est égale à l’espace divisé par le temps, ou le temps est le quotient de l’espace divisé par la vitesse ; d’où il suit que le rapport inverse de l’espace à la vitesse est la véritable mesure du temps. Si l’on conçoit un corps en mouvement, de sorte qu’il parcourt en temps égaux des espaces égaux sur une ligne droite, et qu’on divise cette ligne en parties égales, l’on aura bien des parties égales de temps ; mais pour peu que la vitesse du corps fut sensible et que le temps à mesurer fut grand, il parcourrait bientôt une si grande étendue qu’elle ne serait inapplicable à aucune machine ; de sorte qu’il faut substituer au mouvement rectiligne un mouvement circulaire, ou bien des portions circulaires répétées, tel qu’un poids suspendu qui décrit des arcs de cercles : en en rendant ces mouvements alternatifs ou réciproques sur eux-mêmes, ils acquièrent le nom de vibrations ou d’oscillations : de sorte qu’un corps qui parcourt le même espace en suivant  ces mouvements, n’a pas moins la propriété de mesurer le temps. Alors le temps sera égal à l’espace multiplié par le nombre de vibrations, ce qui est évidement l’espace répété divisé par la vitesse ; d’où il suit que l’on peut à la formule ordinaire du T = E/V substituer celle-ci T= EN/V et par conséquent on pourra tirer des vibrations toutes les analogies qu’on tire ordinairement de l’espace et du temps.

Mais puisqu’il est question de mesurer le temps par le moyen de vibrations ou oscillations, il faut voir si dans la nature il n’y aurait point quelque moyen qui put remplir cet objet, afin de le mettre en pratique ; car l’on peut bien croire que les moyens qu’elle nous fournira seront infiniment plus parfait, plus constants qu’aucuns autres de ceux que l’on pourrait retirer de l’art : il s’en présente de deux sortes, la pesanteur et l’élasticité.

La pesanteur détermine les oscillations toute les fois qu’on suspendra un corps à l’extrémité d’un fil, et que l’autre extrémité sera attachée à une voute ou à une hauteur quelconque. Le poids étant en repos tiendra le fil dans la verticale, par conséquent dans la direction de la pesanteur : et si par quelque moyen l’on retire le poids de la verticale et qu’on l’abandonne à la seule pesanteur, non seulement elle le ramènera dans la verticale ou ligne de repos, elle le fera passer de l’autre côté et remonter à la même hauteur d’où il était descendu. Comme la pesanteur agira également dans la deuxième oscillation comme dans la première, il suit qu’il continuera sans fin les oscillations si rien ne s’oppose à son mouvement. Mais comme l’on ne peut faire ses oscillations que dans un milieu résistant, et que le point de suspension éprouve un frottement, il suit que les oscillations diminueront sensiblement d’étendue et qu’enfin ce corps s’arrêtera : c’est pourquoi il faut avoir recours à une mécanique capable de lui renouveler le mouvement : c’est l’objet de l’échappement dans les pendules.

Mais si la pesanteur nous fournit des oscillations pour les pendules, l’élasticité les fournira pour les montres. Car que l’on se représente par une corde tendue, et que l’on vienne par quelque moyen à tirer cette corde de son repos, l’élasticité non seulement la ramènera dans cette ligne, elle la fera encore passer de l’autre côté, et elle continuera ses allées et venues alternativement en perdant sensiblement de l’étendue de ses vibrations …