Encyclopédie volume 8 page 309 colonne droite

Transposition par l'Horloger de la Croix-Rousse du volume 8 page 309 colonne de droite de l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert

…la plus avantageuse, en sorte que s’ils font des expériences, c’est moins pour apprendre ce qui doit arriver, que pour confirmer les principes qu’ils ont établis, et les effets qu’ils avoient analysés. J’avoue qu’une telle manière de voir est très-pénible, et qu’il faut être doué d’un génie particulier ; aussi appartient-il à fort peu de personnes de faire des expériences utiles, et qui aient un but marqué.

L’Horlogerie livrée à elle-même sans encouragement, sans distinction, sans récompense, s’est élevée par sa propre force au point où nous la voyons aujourd’hui ; cela ne peut être attribué qu’à l’heureuse disposition de quelques artistes, qui aimant assez leur art pour en rechercher la perfection, ont excité entre eux une émulation qui a produit des effets aussi profitables que si on les eût encouragés par des récompenses. Le germe de cet esprit d’émulation est dû aux artistes anglais que l’on fit venir en France du temps de la régence, entre autres à Sully, le plus habile de ceux qui s’établirent ici. Julien le Roy, élève de le Bon, habile horloger, était fort lié avec Sully, il profita de ses lumières ; cela joint à son mérite personnel, lui valut la réputation dont il a joui : celui-ci eut des émules, entre autres Enderlin, qui était doué d’un grand génie pour les mécaniques, ce que l’on peut voir par ce qui nous reste de lui dans le traité d’Horlogerie de M. Thiout ; on ne doit pas oublier feu Jean-Baptiste Dutertre, fort habile horloger ; Gaudron, Pierre le Roy, etc. Thiout l’aîné, dont le traité d’Horlogerie fait l’éloge.

Nous devons à ces habiles artistes grand nombre de recherches, et surtout la perfection de la main-d’œuvre ; car, par rapport à la théorie et aux principes de l’art de la mesure du temps, ils n’en ont aucunement traité ; il n’est pas étonnant que l’on ait encore écrit de nos jours beaucoup d’absurdités ; le seul ouvrage où il y ait des principes est le Mémoire de M. Rivaz, en réponse à un assez mauvais écrit anonyme contre ses découvertes ; nous devons à ce Mémoire et à ces disputes l’esprit d’émulation qui a animé nos artistes modernes ; il serait à souhaiter que M. de Rivaz eût suivi lui-même l’Horlogerie, ses connaissances en mécanique auraient beaucoup servi à perfectionner cet art.

Il faut convenir que ces artistes qui ont enrichi l’Horlogerie, méritent tous nos éloges ; puisque leurs travaux pénibles n’ont eu pour objet que la perfection de l’art, ayant sacrifié pour cela leur fortune : car il est bon d’observer qu’il n’en est pas de l’Horlogerie comme des autres arts, tels que la Peinture, l’Architecture ou la Sculpture ; dans ceux-ci l’artiste qui excelle est non-seulement encouragé et récompensé ; mais, comme beaucoup de personnes sont en état de juger de ses productions, la réputation et la fortune suivent ordinairement le mérite. Un excellent artiste horloger peut au contraire passer sa vie dans l’obscurité, tandis que des impudents, plagiaires, des charlatans et autres misérables marchands ouvriers jouiront de la fortune et des encouragements dus au mérite : car le nom qu’on se fait dans le monde, porte moins sur le mérite réel de l’ouvrage que sur la manière dont il est annoncé, il est aisé d’en imposer au public qui croit le charlatan sur sa parole, vu l’impossibilité où il est de juger par lui-même.

C’est à l’esprit d’émulation, dont nous venons de parler, que la société des arts, formée sous la protection de M. le Comte de Clermont, dut son origine. On ne peut que regretter qu’un établissement qui aurait pu être fort utile au public, ait été de si courte durée ; on a cependant vu sortir de cette société de très-bons sujets qui illustrent aujourd’hui l’académie des Sciences,