SECRETS, PEUR OU INCOMPÉTENCE HORLOGÈRE ?
Lorsque nous avons entrepris la modélisation de l’horloge horizontale imaginée par Leroy, nous nous représentions l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert comme la quintessence de la connaissance du XVIIIème.
Force est de constater qu’il n’en est rien !
Issue d’un travail collaboratif, l’Encyclopédie est, pour l’horlogerie, moins fiable que le décrié Wikipédia !
De fait, l’horloge que nous avons redessinée ne pourrait fonctionner ni d’après les planches de dessin ni d’après les textes explicatifs.
A cela nous pouvons imaginer plusieurs explications :
Le goût du secret, la peur de contredire un homme célèbre, l’incompétence des horlogers qui ne s’en sont pas rendu compte ?
Reprenons les une par une :
LE GOUT DU SECRET ?
Nous pourrions penser qu’un professionnel qui vient de mettre au point quelque chose ne souhaite pas que ses concurrents le copient. Pour ce qui est de Leroy la chose est impensable pour au moins deux raisons.
Comme cela est précisé dans l’Encyclopédie à la page 5 du volume spécifique à l'horlogerie, au début de 1718 Law décide, pour des raisons purement économiques, de faire progresser l’horlogerie française. En effet la qualité de production anglaise est tellement supérieure à la nôtre que les achats de montres et pendules génèrent une sortie importante d’argent de l’hexagone au profit de la Perfide Albion. Law, qui occupe alors la fonction de Contrôleur Général des Finances du Régent, fait appel à l’horloger anglais Henry Sully pour repenser l’ensemble des fabrications française. Le projet aboutit après un voyage secret de Sully à Londres où il va débaucher de nombreux horlogers qui s’installent alors en 1718 à Versailles, à l’Hôtel des Louis, rue de l’orangerie dans une première Manufacture d’Horlogerie.
Leroy, ami de Sully, présente son horloge horizontale, constituée de barreaux vissés qui maintiennent des rouages en ligne, alors que précédemment les horloges d’édifice comportaient un lourd bâti claveté dans lequel les mobiles étaient généralement placés les uns au-dessus des autres. Simplification de montage, de fabrication, d’entretien…
Ce travail est donc le résultat d’une ‘’commande d’état’’ destinée à la publication, ce qui est donc fait dans l’Encyclopédie.
De plus l’histoire reconnait à Leroy l’amour de son métier, son goût pour le progrès et surtout son relatif désintérêt pour l’argent puisqu’il renonce par exemple à la réversion à son profit de la pension de Sully, à la mort de ce dernier, estimant qu’elle revient à sa veuve. Donc si certains de ses confrères auraient pu être tentés par la non communication de travaux ce n’était pas dans l’état d’esprit de Leroy.
LA PEUR DE CONTREDIRE UN HOMME CÉLÈBRE ?
Lorsque les travaux de Leroy sont publiés, d’autres horlogers sont eux aussi reconnus et, comme il est dit plus haut l’homme ne court pas après les honneurs et les distinctions.
Il n’est donc pas ‘’gênant’’ et de plus même si tous lui en reconnaissent la paternité, son nom ne de figure pas dans l’Encyclopédie associé à celui d’horloge horizontale.
L’INCOMPÉTENCE DES HORLOGERS QUI NE S’EN SONT PAS RENDU COMPTE ?
Non, compte tenu du renouveau provoqué par l’action de Law, l’horlogerie française est à son sommet quand parait l’Encyclopédie. Il n’est donc pas possible d’envisager cette explication.
En revanche si l’on réfléchit à l’origine de l’horlogerie on voit apparaitre ce qui nous semble la solution la plus probable.
Vers 1300, lorsque l’église veut rythmer correctement la répartition des prières dans la journée et assoir sa position de contrôle du temps terrestre des hommes (quand les puissants gèrent droit de vie et de mort) les horloges mécaniques n’existent pas. Donc les horlogers non plus. Pour les premières réalisations, les religieux vont donc chercher des artisans qui travaillent le métal : forgerons, ferronniers, serruriers… On leur apprend à compter et écrire pour comprendre des instructions et ils deviennent ensuite conducteurs de leur fabrication, qu’ils entretiennent. La remontant quand nécessaire, la remettant à l’heure sur le cadran solaire du bâtiment qui la porte et entretenant le feu dans la pièce où elle se trouve afin que les huiles, animales, ne figent pas l’hiver.
Mais en aucun cas les ‘’horlogers’’ ne sont les concepteurs ! Ils ne disposent pas de l’ingénierie qui leur aurait permis de créer eux même l’horloge. Ce sont des exécutants, habiles de leurs mains et aptes à adapter et bidouiller pour que le résultat obtenu soit probant ; mais ils ne possèdent pas les connaissances qui auraient pu permettre l’élaboration d’un objet qui de plus, pour eux, ne présentait aucun intérêt. Vouloir contrôler le temps aurait été perçu comme sacrilège et de plus comment imaginer que quelqu’un pourrait dépenser une fortune dans la fabrication d’une telle chose ? S’il n’y a pas de besoin il n’y a pas de marché.
Ainsi, dès le début de l’horlogerie l’exactitude des plans et la justesse des principes ne sont pas un gros problème puisque l’artisan qui fabrique corrige sur place, au fur et à mesure qu’il constate un défaut, voire qu’on lui fait remarquer que le résultat n’est pas celui escompté. La meilleure des preuves est apportée par les traces de replantage sur les platines des pendules anciennes et les perçages doubles ou triples qui ne servent à rien, preuve d’un tâtonnement dans l’implantation d’un axe ou l’obligation de déplacer quelque chose qui gêne.
Enfin, les notions de perspective sont apparues bien après l’horlogerie et lorsque l’on regarde des gravures et dessins de bataille ou des vues générales d’une ville il est évident que le sens des proportions lui non plus n’était pas très présent.
Avec l’Encyclopédie nous sommes donc en face d’illustrations destinées à de la vulgarisation et non en présence de véritables plans. De même ce que nous prendrions comme des fautes inadmissibles de nos jours peut tout à fait être considéré comme normal aux vues des habitudes de travail de l’époque.
PROBLÈMES RENCONTRES LORS DE LA MODÉLISATION :
Celle que l’Encyclopédie dénomme « horloge horizontale » est représentée au travers de cinq planches et d’un texte explicatif. Vous pouvez retrouver le texte et les planches sur cette partie du site.
La modélisation 3D permet l’animation des pièces et donc une meilleure compréhension du fonctionnement.
C’est en constatant que celui-ci était impossible que nous avons commencé à douter de la véracité des éléments communiqués. Pour permettre la marche virtuelle de l’horloge de Leroy, nous avons été obligés de corriger les nombreuses erreurs, et nous avons amendé le mécanisme de tel sorte qu’il se rapproche le plus possible de celui décrit dans l’encyclopédie. Lorsqu’une solution technique était à choisir car manquante ou non fonctionnelle, nous avons bien entendu opté pour une solution qui était cohérente avec l’époque du mécanisme.
DE MANIÈRE GÉNÉRALE :
Comme écrit précédemment, les planches de l’Encyclopédie sont des dessins d’illustrations bien plus que des dessins techniques à proprement parlé : de fait le nombre de dents dessinées ne correspond jamais au nombre de dents évoquées dans le texte. Il est en effet plus simple de dessiner une roue à 60 dents plutôt qu’une à 80 puisqu’on obtient un nombre entier lorsque l’on divise 360° par le chiffre de numération.
De plus certaines parties du dessin n’ont aucun sens : par exemple, le carré à droite sur la Fig13 ne correspond à rien, l’axe de la roue de renvoi est coupé à deux reprises sur la Fig3 …
LISTE DES ERREURS DE L’ENCYCLOPÉDIE
Chaque erreur rencontrée, listées ci-après, est présenté de la manière suivante :
Solution retenue
PROBLÈMES DE CONCEPTION :
L’ensemble EFE’F’ étant solidarisé par l’intermédiaire de vis, la même solution a été choisie pour le reste du bâti en plaçant donc des vis au point de croisement des piliers.
L’implantation des roues a été décalée.
Montage a carré pour l’arrêt radial et utilisation d’une rondelle percée avec une goupille de chaque côté pour l’arrêt axial. Pour le barillet du mouvement, le manque de place nous a amenés à un montage de la couronne sur le tambour par l’intermédiaire de 4 vis.
Diminution de la taille de l’ensemble cliquet et ressort.
Décalage de l’axe du rivet.
INCOHÉRENCE ENTRE LES DIFFÉRENTES VUES :
Appliquer la solution d’assemblage du pilier EF au pilier E ‘F’ (ce qui correspond donc à la vue de dessus mais ne respecte pas les vues de côté).
Le pont a été conçu de manière la plus robuste possible en respectant au maximum les différentes vues.
INCOHÉRENCE DU TEXTE ET/OU DESSIN :
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Le texte et le dessin indique que chaque couronne du barillet des quarts porte huit goupilles, hors le barillet porte aussi le chaperon. Donc au cours d’une heure, le chaperon sonne 1 quart puis 2 puis 3 et enfin 4, soit 10 coups et non 8.
Modification du nombre de goupilles sur les deux couronnes du barillet des quarts.
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La roue d’échappement a 30 dents réparties sur deux roues sur le dessin ou dans le texte. Or il est indiqué que le barillet fait un tour par heure et que le balancier bat la seconde, en gardant la numération du rouage tel que décrite dans le texte, on arrive au résultat qu’il faut que les deux roues aient 30 dents chacune.
Modification du nombre de dents sur les roues d’échappement.
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Pour que la sonnerie des heures, marque un coup par heure, plusieurs modifications ont dues être apportées. Dans le texte comme dans le dessin, le train de rouage des heures devrait être identique à celui des quarts, or aucun multiplicateur commun ne permet d’avoir le bon rapport entre le chaperon, le barillet et la came portée par la roue d’arrêt.
En essayant de rester au plus proche du nombre de dents décrit dans le texte, les changements suivant ont été effectuée :
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La roue du barillet a 90 dents au lieu de 80
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Le barillet a 15 goupilles au lieu de 8
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Le pignon de la roue d’arrêt a 12 ailes au lieu de 10
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La came d’arrêt a deux arrêts au lieu d’un
PROBLÈMES FONCTIONNELS :
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Le bras rentre dans le cliquet et son ressort.
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Le bras ne peut pas se lever complètement (il buterait contre le pilier AB).
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Le bras n’est jamais au repos.
Pour garder l’implantation des bras de marteau telle quelle, les solutions choisies ont été de : raccourcir la longueur du bras de marteau (ce qui résout les 2 premiers problèmes) et de diminuer la hauteur de la partie qui part vers les cloches.
Modification de la hauteur de la came
Modification de la forme de la détente.
Diminution du diamètre du carré et suppression de la goupille inutile au montage qui elle aussi viendrait buter contre le chaperon.
Ajout d’une section carrée sur la tige de réglage fin
Diminution de la profondeur des encoches du chaperon des heures et élargissement pour qu’elle respecte le rayon de chute du couteau.
Chaperon redessiné avec des dimensions correctes et suppression de l’excentricité pour la sonnerie de une heure car elle n’avait pas lieu d’être.
IMPRÉCISION DU TEXTE ET/OU DESSIN :
Calcul en fonction des diamètres dessinés et des modules présents dans le reste du mécanisme.
Adapter le principe de fonctionnement des volants d’horloge d’édifice avec cliquet et rochet.
Calcul en fonction des diamètres dessinés et des modules présents dans le reste du mécanisme.
Le tigeron qui porte le chaperon est rivé au bâti, la roue est rivée au chaperon par l’intermédiaire de quatre goupilles et l’ensemble est maintenu grâce à une portée et une goutte / goupille.
La partie haute a été faite symétriquement à la partie basse, et la partie centrale conçue pour être fonctionnelle avec le moins de matière possible.
Montage par rivage en quatre points.
L’échappement, est un échappement à deux roues montées sur le même axe, ce qui n’est vraiment pas commun, après quelques recherches, nous avons trouvé son équivalent décrit dans le livre « Échappements d'horloges et de montres » de GROS à la Fig86.
OUBLI TECHNIQUE :
Implantation d’un palier de pivotement dans le pilier CD.
Implantation d’un cadran indicateur et de ses aiguilles.
Le manque de place, nous a laissé peu de choix pour implémenter ce départ de tringlerie qui implique :
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Axe de renvoi et son cardan pour se fixer sur la tringlerie
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Création de deux points de pivotements pour cet axe : l’un monté sur un pont solidaire du pont de roue de renvoie et l’autre monté sur le canon du bâti.
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Rajout d’une roue conique sur la roue des heures qui engrène donc avec la roue de renvoi de la tringlerie.
La friction par l’intermédiaire d’un assemblage pignon / écrou tel que rencontré sur les horloges en lignes Odobey était trop moderne et impossible à implanter car le renvoi vers le cadran se fait par l’intermédiaire d’un engrenage conique. Cet engrenage conique empêche aussi la friction par le biais d’un ressort. La solution choisie est donc de faire une chaussée.